Bonjour à tous.
Je ne suis pas directement concernée par le virus, mais je l'ai côtoyé de près pendant quelques années, puisque j'ai fait partie d'une association de lutte contre le SIDA. Au bout de six ans, j'ai arrêté. J'étais usée. Je me suis attachée à des gens, certains d'entre eux sont devenus des amis très proches, et de voir leur souffrance jour après jour, de les accompagner, parfois, trop souvent, jusqu'à la fin, ça m'a laissée sans force. ça m'a donné aussi une grosse leçon d'humilité. Il y avait dans cette asso des gens qui ont choppé le virus suite à un rapport sexuel sans protection, des gens qui l'ont choppé par une seringue souillée, d'autres qui l'avaient choppé lors d'une transfusion, il y avait même un enfant qui était né avec cette saloperie bien installée dans l'organisme depuis le ventre de sa mère. Mais quelque soit le mode de transmission, toutes ces personnes partageaient la même souffrance, le même désarrois, la même question : "pourquoi moi ?"
La dernière personne que j'ai accompagnée à l'hôpital, c'était un gars de 26 ans. Il est parti, aujourd'hui, mais je tiens à respecter sa mémoire. Il a toujours exigé un anonymat total, et pour les besoins de mon récit, je l'appellerais David.
C'était l'époque bénie où la trithérapie faisait ses premiers pas. L'époque de l'espoir.
David a connu cet espoir. Pendant des mois, David avait cru qu'il allait mourir. Après être passé par tous les stades, et être finalement arrivé à l'acceptation, la résignation (mon dieu que je hais ce mot), David a appris qu'il pouvait vivre. Vous rendez-vous compte ? Des mois et des mois à faire le deuil de sa propre vie, de son propre avenir, et un jour, on apprend qu'on peut encore vivre ? Juste encore un peu ?
Au début, il m’a avoué être désemparé. Qu’allait-il faire de toutes ces années de rab ? Mais qu’allait-t-il faire de ce bonus de vie ? Et puis il a saisi ce paquet cadeau.
David s'est alors jeté à corps perdu dans la vie. Il allait pouvoir miser sur l'avenir. Il prenait ses médicaments consciencieusement. Plus de trente cachetons par jour, il faut se les coltiner. Lui, il le faisait sans broncher. Il vomissait sans broncher. Il se grattait sans broncher. Il dormait mal, mais ne bronchait pas… Et puisque je parle de « bronches »…
Un jour il s’est réveillé avec une température à peine élevée. Et puis il s’est mis à tousser. Sa température a continué d’augmenter, sa toux à s’intensifier. Il était fatigué. De plus en plus fatigué. Le médecin avait diagnostiqué une grippe, au début.
Au bout d’un mois, nous avons aidé un David amaigri de moitié à déménager pour un appartement au rez-de-chaussée. Ses deux étages étaient devenus insurmontables. Je me souviens qu’il l’aimait bien, son nouvel appart du rez-de-chaussée. Il croyait encore que ça représentait u nouveau départ. Il m’avait demandé de lui acheter du tissu, pour des rideaux.
Une nuit, alors que je ne l’avais pas vu depuis trois jours, il a été hospitalisé en urgence. Le lendemain, quand je l’ai vu, j’ai eu du mal à le reconnaître. Il ne restait rien de cet espoir que l’on pouvait lire dans ses yeux. Il avait fondu. Littéralement fondu. Sa peau avait prix ce teint jaunâtre qui en dit long sur l’état de santé de quelqu’un.
Ce n’était pas une grippe, mais une pneumonie qu’il avait.
Il est parti en une semaine à peine.
J’ai encore mal aujourd’hui, quand je pense à lui.
J’ai quitté l’association après ça.
Je continue, à mon échelle, à faire passer le message : le SIDA, c’est pas fini. Je parle du sida et de ses conséquences autour de moi, je distribue des préservatifs, mais je ne me sens plus la force de soutenir encore d’autres David. J’en ai connu tellement, j’en ai vu tellement suffrir et partir…
Heureusement, aujourd'hui, les traitements sont plus efficaces, plus fiables, et moins lourds. C'est bien sûr, une excellente chose pour les malades, mais en même temps, je pense que ça a son petit côté pervers, pour ceux qui ne sont pas porteurs du virus : les jeunes à qui je parle me disent qu'ils ne protègent pas sistématiquement leurs rapports, puisque de toute façon, on ne meurt plus du sida. ON NE MEURT PLUS DU SIDA, c'est hélas ce que j'entends de la bouche de certains jeunes. Ce n'est pas vrai. On n'en meurt pas forcément, c'est vrai, mais le sida reste une maladie grâve, lourde de conséquence, que l'on peut, dans la plupart des cas, et sauf accident, éviter. C'est pour ça que je ne lâcherai jamais l'affaire. JAMAIS. Au moins jusqu'à ce qu'un vaccin arrive sur le marché, je continue à faire de la prévention. Beaucoup de David ont trop souffert, et beaucoup d'autres souffrent.
Jeu 26 Avr - 12:09